Les heures, les jours, les mois ont passé.
Seule avec ma douleur, ma blessure ouverte sans pouvoir empêcher l'hémorragie, seule avec ma petite Victoire blessée elle aussi, sans pouvoir soutenir la vue de sa blessure à elle, ma petite fille, mon ange, mon unique enfant, elle à qui je voulais offrir le meilleur, l'essentiel, comme je disais, pas forcément l'argent et le confort, mais au moins un père et une mère qui s'aiment, l'équilibre du foyer...Seule avec ma douleur infinie d'avoir échoué cette mission qui m'avait été confiée il y a neuf ans, quand elle est née, seule avec mes bêtes qui ne comprennent pas, notre petite Clio qui venait sur mes genoux quand elle m'entendait pleurer, inquiète et triste de me sentir si vulnérable, mon beau Marley si loin de moi, que j'ai pu quand même aller voir deux fois et monter un peu - au rythme de son pas, de son trot, de son galop dans la campagne normande retrouver quelques instants la paix et la joie pure perdue.
Me relever parce que je n'ai pas le choix et que je veux pas crever, que je mérite pas ça ni ma petite fille tant aimée, ni mes bêtes que je veux garder. Me battre contre lui, contre moi surtout, écraser du pied les restes de mon amour, mettre en marche la machine à tuer, l'arrêter, la remettre en marche, l'arrêter encore, parce que c'est atroce de broyer ce qui fut un amour quand même, même s'il vous faisait mal et que c'était un poison dans le coeur qui ne distillait que souffrance. Arracher tout. Jusqu'à la dernière herbe, la dernière fleur -non, le laisser lui tout arracher, tout salir, tout casser. Et là, enfin, pantelante de douleur, le corps ensanglanté de ses étreintes, le coeur vide enfin, appuyer sur le bouton : tout détruire.
Pour ma fille, pour ma vie, pour mes bêtes, pour la Vie, pour demain.
Et pour Celui qui me tient la main aujourd'hui, malgré la tempête, qui me rend mon sourire, ma joie de vivre, et que je veux rendre heureux.
La bête blessée ose enfin sortir un bout de museau de son abris de fortune. Elle tremble, elle a peur, elle regarde partout autour d'elle. Mais il n'y a qu'un beau soleil plein de promesse et la douceur de ses mains à Lui qui me rassurent et me promettent des jours meilleurs.
J'ai l'audace d'y croire.